© Michel Fingerhut 1996/7

Pierre Vidal-Naquet:
Un Eichmann de papier (1980) - Anatomie d'un mensonge (7)
in Les assassins de la mémoire Points Seuil, 1995 © La Découverte 1987
Reproduction interdite sauf pour usage personnel - No reproduction except for personal use only


Nous remercions Pierre Vidal-Naquet et les éditions de La Découverte de nous avoir autorisés à reproduire ce texte.

7. La guerre des Juifs

Serge Thion reconnaît à Robert Faurisson, dans le portrait nuancé qu'il en fait (p. 14), « une certaine propension [qu'il partage] à se ranger du côté des vaincus, de ceux qui se trouvent du mauvais côté du manche ». Mais qui sont les vaincus ? Les Allemands, et plus précisément les nazis ? Certes, ils ont été vaincus, et le peuple allemand a souffert, épouvantablement, comme ont souffert épouvantablement d'autres peuples qui n'ont pas été vaincus, les Russes, les Polonais, les Yougoslaves, les Tchécoslovaques et les Grecs. Les Juifs, en Europe orientale et dans quelques autres régions (en Hollande, en Grèce), n'ont pas été vaincus, ils ont été anéantis. Il n'est pas toujours facile de comprendre ce que cela signifie. On peut le réaliser, presque physiquement, dans l'immense cimetière juif de Varsovie, près du ghetto où vint un jour s'agenouiller « le marxiste Brandt », comme dit A. Butz (The Hoax, p. 244) : les pierres tombales disparaissent tout d'un coup autour de 1942 pour ne reparaître que sur une échelle infinitésimale en 1945. Richard Marienstras a tenté de dire cela : « Ceux dont la civilisation - dont la respiration - était tout entière définie par la yiddishkeit, ceux dont toutes les relations vitales dépendaient du domaine yiddish, ceux-là, après la disparition de leur culture, ne peuvent modifier ni déplacer leur allégeance fondamentale à ce qui n'est plus et qui ne peut plus exister que dans un souvenir obsédant et terrifié. Pour eux, il n'y a ni projet ni délivrance, ils n'oublient pas quand ils affirment avoir oublié, ils n'espèrent pas, même si le substitut qu'ils donnent à l'espoir est strident - sa stridence révèle le désespoir ou le malheur dont il est fait[79]. » Il fallait essayer de dire cela qui est peu dicible, et, s'il en est qui se sentent « rachetés » par les victoires militaires d'Israël, je ne puis, pour ma part, que les plaindre et même les mépriser.

Ce ne fut pas une guerre et, je l'ai déjà dit, le Conseil d'État de la République polonaise qui, en avril 1967, a conféré aux victimes d'Auschwitz une décoration militaire pour être morts « en luttant contre le génocide hitlérien » a montré qu'il n'avait pas compris ou pas voulu comprendre ce qui s'était passé[80]. Mais, nous dit-on, ce fut précisément une guerre. L'Anglais Richard Harwood (pseudonyme du néo-nazi Verrall) nous l'explique dans cette fameuse brochure qui déclencha la juste fureur de P. Viansson-Ponté et relança dans la bataille Faurisson (Le Monde, 17 juillet 1977 et Vérité..., p. 65-92) : « Le 5 septembre 1939, Chaïm Weizmann, président de l'Organisation sioniste (1920) et de l'Agence juive (1929), qui devint plus tard le premier président de la République d'Israël, avait déclaré la guerre à l'Allemagne au nom des Juifs du monde entier, en spécifiant que ''les Juifs font cause commune avec la Grande-Bretagne et combattront dans le camp des démocraties [...] L'Agence juive est prêteà prendre des mesures immédiates pour utiliser la main d'oeuvre juive, la compétence technique et les ressources juives, etc." (Jewish Chronicle, 8 septembre 1939). » Peu importe, bien sûr, que Weizmann n'ait eu ni qualité pour parler au nom des Juifs du monde entier, ni d'ailleurs l'intention de le faire [81]. Dirigeant sioniste, étroitement lié avec l'Angleterre, malgré le conflit provoqué par la politique anglaise d'arrêt de l'immigration en Palestine, il a parlé, comme à la même époque Ben Gourion, au nom des siens et d'une idéologie minoritaire. Les sentiments des Juifs américains, par exemple, n'étaient pas douteux, mais personne ne pouvait déclarer la guerre en leur nom. Non content de répéter « Harwood », Faurisson y ajoute une erreur fort significative : « En la personne de Chaïm Weizmann, président du Congrès juif mondial [...], la communauté juive internationale a déclaré la guerre à l'Allemagne le 5 septembre 1939 » (Vérité..., p, 187, même indication p. 91, n.). Le président du Congrès juif mondial était alors le rabbin américain Stephen Wise. Mais, à défaut de pouvoir disposer d'un porte-parole du judaïsme international, le mieux est encore de l'inventer. Cette « déclaration de guerre » est, précise Faurisson, la suite des mesures de boycottage économique de l'Allemagne nazie décidées par « la communauté juive internationale en rétorsion des mesures antisémites prises par Hitler ». C'est tout simple: « Cet engrenage fatal allait conduire, de part et d'autre, à une guerre mondiale » (Vérité..., p. 187) [82]. Une fois le vin tiré, il faut le boire, la guerre a eu lieu, « le soldat allemand mène un féroce combat contre les partisans [...] y compris, s'il le fallait, contre les femmes et les enfants mêlés aux partisans », mais, Faurisson nous le précise : « L'armée donne les ordres les plus draconiens pour qu'aucun soldat allemand ne participe à des excès sur la population civile, Juifs y compris. » Mieux : on peut dire de la Wehrmacht, SS compris, « qu'elle a été, d'une certaine façon, moins redoutable pour les civils non combattants que beaucoup d'autres armées » (Vérité..., p. 187 et 211, n. 45). Les Einsatzgruppen n'ont apparemment pas existé.

A partir de là, il devient possible de tout expliquer, de tout justifier. L'étoile juive ? Une mesure militaire. « Hitler se préoccupait peut-être moins de la question juive que d'assurer la sécurité du soldat allemand » (Vérité..., p. 190) [83]. Beaucoup de Juifs parlaient allemand et on les soupçonnait de pratiquer « l'espionnage, le trafic d'armes, le terrorisme, le marché noir ». Les enfants qui portaient l'étoile à partir de six ans ? Faurisson a réponse à tout : « Si l'on reste dans le cadre de cette logique militaire, il existe aujourd'hui suffisamment de récits et de mémoires où des Juifs nous racontent que dès leur enfance ils se livraient à toutes sortes d'activités illicites ou de résistance aux Allemands » (Vérité..., p, 190).

Et, dans cette même page que l'on devrait faire figurer dans une anthologie de l'immonde, Faurisson nous montre, par un exemple précis, que les Allemands avaient bien raison de se méfier : « Ils redoutaient ce qui allait d'ailleurs se passer dans le ghetto de Varsovie où, soudain, juste à l'arrière du front, en avril 1943, une insurrection s'est produite. Avec stupéfaction, les Allemands avaient alors découvert que les Juifs avaient fabriqué 700 blockhaus. Ils ont réprimé cette insurrection et ils ont transféré les survivants dans des camps de transit, de travail, de concentration. Les Juifs ont vécu là une tragédie. » Il n'est pas inutile de lire cette page d'un peu plus près. Tout appel de note a charitablement disparu, mais la note 48 de la page 211 nous permet d'apprendre la source de Faurisson et de le surprendre au travail. Son « informateur », comme disent les ethnologues, est le Reichsführer SS Heinrich Himmler en personne, et plus précisément son discours de Posen (Poznan) le 6 octobre 1943 : « J'ai nettoyé de grands ghettos juifs dans les territoires de l'arrière. Dans un ghetto de Varsovie, nous avons eu des combats de rue pendant quatre semaines. Quatre semaines ! Nous y avons démoli environ sept cents bunkers [84]. »

Faurisson intervient sur ce texte et sur cet événement à de multiples niveaux, d'abord en ajoutant à l'indication de Himmler : « dans les territoires de l'arrière » (in den Etappengebieten), les petits mots « juste » et « front » qui le rendent cohérent avec sa logique militaire. Le lecteur peut ainsi oublier que le « front » était alors très loin, à plus de 1000 kilomètres, modifications étonnantes de la part de ce maniaque de la note et de la précision [85], mais le « front », n'est-ce pas ?, est une notion ambiguë. De l'événement lui-même, qui intervient alors que le ghetto est aux trois quarts vidé de sa population par des déportations massives, le lecteur ne saura rien. Ici encore, le maître de Faurisson s'appelle Himmler qui, le 21 juin 1944 à Sonthofen, essaya de faire croire aux généraux allemands qu'il avait dû affronter, au ghetto de Varsovie, non une poignée de combattants, mais « plus de cinq cent mille Juifs » qu'il a fallu liquider « en cinq semaines de combats de rue » (Discours secrets, p. 207). Silence également sur le contexte immédiat du discours du 6 octobre 1943 qui voit Himmler protester contre la tyrannie de l'économie, si souvent invoquée par les révisionnistes : « Ce ghetto fabriquait des manteaux de fourrure, des vêtements, etc. Avant, quand on voulait y entrer, on vous disait : "Halte ! Vous entravez l'économie de guerre ! Halte ! Fabrique d'armement !" » (Discours secrets, p. 169). Silence sur tout cela, mais un avertissement, dans cette même note 48, p. 211, à propos des Discours secrets : « Cet ouvrage est à utiliser avec précaution et surtout sa traduction en français. » Pourquoi cette précaution ? Nous le savons déjà, en lisant le discours de Posen, le lecteur risquerait d'apprendre, à la page précédente, que Himmler avait donné l'ordre de tuer (umbringen) les hommes, les femmes et les enfants du peuple juif. Assurément, dans cette guerre-là, Himmler n'a pas été vaincu.

(Chapitre suivant)
(Sommaire)

____________________________

Server / Server © Michel Fingerhut 1996-2001 - document mis à jour le 09/11/1998 à 20h13m10s.
Pour écrire au serveur (PAS à l'auteur)/To write to the server (NOT to the author): MESSAGE