Les événements ne sont pas des choses, même s'il existe une opacité irréductible du réel. Un discours historique est un réseau d'explications qui peut céder la place à une « autre explication[95] » dont on jugera qu'elle rend mieux compte du divers. Un marxiste, par exemple, essaiera de raisonner en termes de rentabilité capitaliste, et se demandera si la destruction pure dans les chambres à gaz s'inscrit ou non aisément dans ce système interprétatif. Suivant le cas, il adaptera les chambres à gaz au marxisme ou les supprimera au nom de la même doctrine [96]. L'entreprise révisionniste, dans son essence, ne me paraît pourtant pas relever de cette recherche d'une « autre explication ». Il faut plutôt chercher en elle cette négativité absolue dont parle Adorno et c'est précisément cela que l'historien a tant de mal à comprendre. Il s'agit d'un effort gigantesque non pas même pour créer un monde de fiction, mais pour rayer de l'histoire un immense événement.
Dans cet ordre d'idée, il faut admettre que deux livres révisionnistes, The Hoax of the 20th Century d'Arthur Butz et Der Auschwitz Mythos de Wilhelm Stäglich représentent une réussite assez remarquable : celle de l'apparence d'un récit historique, mieux, d'une enquête critique avec tous les traits extérieurs qui définissent le livre d'histoire, sauf ce qui en fait précisément le prix : la vérité.
On peut naturellement chercher et trouver des précédents au révisionnisme dans l'histoire des mouvements idéologiques. Sous la Restauration, le RP Loriquet n'avait-il pas à des fins éducatives rayé la Révolution et l'Empire de l'histoire qu'il enseignait à ses jeunes élèves ? Mais il ne s'agissait que de la « légitime » tromperie, dont on sait depuis Platon qu'elle est inséparable de l'Éducation - jeu innocent par rapport aux révisionnistes modernes.
Naturellement, si je puis ici parler d'absolu, c'est que nous sommes sur le plan du discours pur, non sur celui du réel. Le révisionnisme est chose ancienne, mais la crise révisionniste ne s'est produite qu'après la diffusion massive d'Holocauste, c'est-à-dire après la spectacularisation du génocide, sa transformation en pur langage et en objet de consommation de masses[97]. Il y a là, me semble-t-il, le point de départ d'une réflexion qui, je l'espère, sera prolongée par d'autres que par moi.
Juin 1982, révisé pour publication en 1985, à nouveau corrigé en juin 1987.
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