© Michel Fingerhut 1996/7

Martine Aubry et Olivier Duhamel:
Petit dictionnaire pour lutter contre l'extrême-droite (D)
Éditions du Seuil (©) Octobre 1995. ISBN 2-02-029984-4
Reproduction interdite sauf pour usage personnel - No reproduction except for personal use only


Introduction - A - B - C - D - E - F - G - H - I - J - L - M - N - O - P - R - S - T - U - V - X - Annexe 1 - Annexe 2

Déclassement

La fin du siècle ressemble à ses débuts. Le sociologue allemand Max Weber soulignait en 1921 : « Les Blancs des États du Sud des États-Unis qui ne possédaient rien et qui menaient souvent une vie misérable lorsque manquaient les occasions de travail libre étaient à l'époque de l'esclavage les véritables porteurs de l'antipathie raciale - totalement étrangère aux planteurs - parce que leur "honneur social" dépendait directement du déclassement des Noirs » (Économie et Société, Plon, 1971, p. 418). Le principal ressort du racisme antinoir était la pauvreté blanche. Le principal ressort du racisme antiarabe est l'appauvrissement des « petits Blancs ».

Délinquance

Immigration = délinquance = insécurité. Cette équation si souvent rabâchée, si largement admise, est-elle juste ?

Partons des réalités, le cas échéant affrontons-les, mais dissipons les fantasmes. La délinquance se mesure à partir des statistiques de la police et de la gendarmerie concernant les crimes et délits et les personnes mises en cause, et à partir des statistiques de l'administration pénitentiaire.

En 1993, 140 000 étrangers ont été mis en cause, soit 19,8% du total des personnes mises en cause, trois fois plus donc que leur proportion dans la population. Les étrangers représentent 15% des personnes mises en cause pour vol, 12% de celles qui le sont pour infractions économiques et financières, 12% aussi pour crimes et délits contre les personnes, 18% pour non- respect de la législation sur les stupéfiants et 96% pour délits relatifs à la police des étrangers (44 000 personnes étrangères mises en cause sur les 140 000 le sont à ce dernier titre). Même si ces faits sont condamnables, il serait absurde de les amalgamer aux autres mises en cause. Ils n'entraînent en effet aucune atteinte à la sécurité des biens ou des personnes, mais résultent des difficultés à contrôler les flux d'entrée sur notre territoire, malgré une législation très restrictive.

Si l'on retire ce dernier motif, par définition sans objet pour des Français, le pourcentage d'étrangers mis en cause passe alors de 19,8% à 14%, soit un taux encore très élevé, plus du double de leur proportion dans la population totale. Cependant, contrairement à ce que prétendent tant et tant de diatribes, ce chiffre demeure stable depuis 1976.

14% : ce taux se retrouve pour les étrangers condamnés en 1992. La délinquance est donc environ deux fois plus importante chez les étrangers que chez les Français (hors délits à la législation sur les étrangers). On ne saurait méconnaître cet état de fait, mais il est hors de question d'en ignorer les causes.

Placés en bas de l'échelle sociale, touchés le plus fortement par la crise économique, par quel miracle ne se retrouveraient-ils pas en plus grand nombre chez les délinquants ? D'ailleurs, la population étrangère incarcérée s'accroît à chaque période de récession (1975-1977, 1981-1983 et ces dernières années). Les jeunes d'origine étrangère, vivant souvent dans des familles en difficulté et dans des quartiers qui le sont aussi, subissent de plein fouet l'échec scolaire, se désocialisent et forment une part importante des contrevenants. De surcroît, la part des hommes dans la population étrangère est nettement plus élevée que chez les Français, et l'on sait que les hommes sont beaucoup plus délinquants que les femmes (96% des incarcérés sont des hommes). Bref, les handicaps sont, comme les privilèges, cumulatifs.

Enfin, comme le notent Jacques Voisard et Christiane Ducastelle dans La Question immigrée en France (Éd. du Seuil, 1990, p. 46) : « On ne peut passer sous silence les difficultés spécifiques des étrangers face à notre système répressif. Alors qu'ils ont des rapports plus difficiles que les nationaux avec la police, ils sont plus souvent exposés à son intervention, en particulier lorsque leur condition d'étranger est visible. Ainsi les conflits qui peuvent trouver des solutions amiables quand les nationaux sont en cause, comme les rixes dans les cafés ou les petits vols dans les magasins, se soldent toujours par un appel aux forces de l'ordre quand un étranger est impliqué, et donc par une prise en compte statistique. Les études sur le sujet notent enfin que les étrangers sont plus exposés que les nationaux aux procédures de flagrant délit, en particulier les ressortissants maghrébins, et plus exposés également à la mise en détention provisoire. »

Le diagnostic est donc rude, sombre. La réalité est dure, insupportable, pour beaucoup de Français qui la subissent très directement. Il ne faut pas se voiler la face. Mais la réflexion lucide doit porter sur la thérapeutique. La stigmatisation des étrangers, l'excitation de l'hostilité à leur encontre, n'est pas seulement choquante en son principe. Elle s'avère absurde, contre-productive. Elle entretient et aggrave à son tour la délinquance, qu'il faut combattre. La criminalité est un des grands problèmes de nos sociétés, et une politique juste et efficace en la matière mériterait un livre à elle seule. Mais l'utilisation de ce vrai problème pour alimenter la xénophobie est aussi habile qu'intolérable.

S'il est clair qu'aucun laxisme ne se justifie en matière de délinquance, étrangère ou française, que l'une comme l'autre doivent être réprimées, exactement de la même manière, s'il est nécessaire que la police soit plus présente dans les quartiers en difficulté, trop souvent désertés par elle, il n'en demeure pas moins que la lutte contre l'exclusion, le chômage, l'échec scolaire, ainsi que l'amélioration des conditions de vie constituent, pour les étrangers comme pour les Français, le meilleur remède à la délinquance.

Voir Comprendre.

Départements

Cellules départementales de lutte contre le racisme, coordonnateurs en préfecture.

La lutte contre le racisme concerne aussi l'État, que chacun d'entre nous doit pouvoir interpeller. Une Commission consultative nationale des droits de l'homme a été mise en place par Michel Rocard et présidée depuis sa fondation par Paul Bouchet. À l'interface entre les associations et l'État, parfois critique, elle n'avait pas l'heur de plaire à Charles Pasqua, qui tenta de la court-circuiter en créant des commissions départementales. Ces dernières avaient officiellement pour fonction de coordonner le travail des élus, associations, administrations, citoyens. Elles existent, en préfecture, dans environ soixante-cinq départements, et disposent de responsables désignés. Elles réunissent en principe des services de l'État, des autorités judiciaires, des élus, des associations, des Églises et des syndicats, sous la direction du préfet - en pratique, d'un coordonnateur départemental. Ces cellules sont censées poursuivre une triple mission :

  1. d'information et de formation sur la législation antiraciste et l'aide aux victimes ;
  2. d'application égale de la loi notamment dans l'engagement des poursuites ;
  3. de coordination des actions dans le domaine du logement et de l'école

(voir Commission nationale consultative des droits de l'homme, La Lutte contre le racisme et la xénophobie, « Exclusion et droits de l'homme », rapport 1995, La Documentation française, p. 86-88).

À chacun de s'adresser à elles. Certaines cellules travaillent efficacement, d'autres somnolent lamentablement. C'est selon. Selon leurs animateurs et selon les sollicitations des citoyens. La lutte contre le racisme concerne l'État, mais l'État s'y implique moins en France qu'ailleurs [Voir Allemagne]. A nous de l'amener à agir.

Détail

Le 13 septembre 1987, lors du Grand Jury RTL-Le Monde, Le Pen répond à une question d'Olivier Mazerolle sur les thèses niant l'existence des chambres à gaz : « Je suis passionné par l'histoire de la Seconde Guerre mondiale. Je me pose un certain nombre de questions. Je ne dis pas que les chambres à gaz n'ont pas existé. Je n'ai pas pu moi-même en voir. Je n'ai pas étudié spécialement la question. Mais je crois que c'est un point de détail de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale. » Dans la discussion qui s'ensuit, Paul-Jacques Truffaut objecte : « Ce n'est pas un point de détail. » Le Pen persiste : « Si, c'est un point de détail de la guerre. Voulez-vous me dire que c'est une vérité révélée à laquelle tout le monde doit croire, que c'est une obligation morale ? » Olivier Mazerolle insiste : « Vous-même, monsieur Le Pen, considérez-vous qu'il y a eu génocide juif par les chambres à gaz ? » Réponse : « Il y a eu beaucoup de morts, des centaines de milliers, peut-être des millions de morts juifs et aussi des gens qui n'étaient pas juifs. Je suis étonné de devoir, à chaque émission de télévision et de radio, répondre à des questions qui prennent une forme inquisitoriale. »

Ainsi Le Pen refuse de parler d'un génocide juif par les nazis, ne se prononce pas sur l'existence des chambres à gaz, tient cette question pour un détail et se plaint de l'insistance mise à l'interroger à ce propos. À la lettre, le leader du Front national s'en tenait à l'antisémitisme implicite et inavoué dans lequel il campe prudemment. Mais cette fois, ce fut trop. Le « détail » fut le mot en trop. Le Pen objectera qu'il n'a pas traité de « détail » l'extermination des juifs, mais la question du mode d'extermination utilisé. Littéralement, il a raison. Objectivement, il ment. Et tout le monde le comprit ainsi. Le mot « détail » révélait la vérité qu'il voulait cacher. Le refus de reprendre le terme « génocide » confirma.

Le Pen eut conscience de sa gaffe, comme le révéla Yann Piat dans son livre Seule, tout en haut à droite : « En quarante années de vie politique, c'est le mot le plus malheureux qui est sorti de ma bouche. » Jean-Marie Le Chevallier, le futur maire de Toulon, parle d'un « malentendu » - mais ce fut tout le contraire, un trop bien entendu.

Olivier d'Ormesson demande à Le Pen de s'excuser publiquement. Il refuse. D'Ormesson démissionne du Front national. Le Pen lui suggère alors de se tirer une balle dans la tête (récit de Gilles Bresson et Christian Lionet, Le Pen, Éd. du Seuil, coll. « L'épreuve des faits », 1994, p. 456).

Voir Hiroshima, Suicide.

Diabolisation

Voir Vote FN.

Diffamation et injures racistes

Les articles 32 alinéa 2 et 33 alinéas 2 et 3 de la loi du 29 juillet 1881 modifiée par la loi du 1er septembre 1972 punissent ceux qui auront diffamé ou injurié « une personne ou un groupe [...] à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ».

Pour diffamation raciste, l'auteur risque un emprisonnement d'un mois à un an et une amende de 300 à 300 000 francs ou l'une de ces deux peines seulement. L'injure raciste est punie de six jours à six mois de prison ou de 150 à 150 000 francs d'amende.

Pour que la diffamation soit caractérisée, il faut qu'il y ait allégation d'« un fait précis et déterminé » portant atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps visé, mais il peut y avoir injure lorsque ces propos sont tenus sans que des faits précis soient allégués.

Ainsi le tribunal de grande instance de Paris a considéré qu'une diatribe où il est dit : « assez des voleurs algériens », « assez des fanfarons algériens », « assez des violeurs algériens », « assez des syphilitiques algériens »... tend à accréditer l'idée que l'ensemble des immigrés de nationalité algérienne mérite les jugements portés par l'auteur de l'article, que, bien que ne s'adressant pas à un individu et notant que d'autre part elles ne se rapportaient à aucun fait précis, « les expressions constituent des injures envers un groupe de personnes appartenant à la nationalité algérienne » (11 juin 1979, Gazette du Palais 1976).

Ainsi, le journaliste d'extrême droite François Brigneau fut-il condamné pour injure par la première chambre du tribunal de grande instance de Paris, le 17 décembre 1986, pour avoir, dans le journal Présent, écrit : « Comme à l'accoutumée, à 7 sur 7, la pulpeuse charcutière casher reçoit un de ses coreligionnaires. Cette fois-ci, c'est le Dr Kouchner. »

Récidivant, il sera condamné pour avoir traité, dans National Hebdo, Philippe Alexandre de « marchands de bretelles à RTL, juif assimilé de tendance centriste » et Anne Sinclair de « marchande de soutiens-gorge à TF1, juive (moins assimilée) de tendance socialiste » et « d'épanouie boulangère azyme », le 27 janvier 1989, par le tribunal de grande instance de Paris et, le 18 mai 1989, par la cour d'appel, les injures publiques à raison de l'origine étant constituées.

François Brigneau et Roland Gaucher, directeur de National Hebdo, ont enfin été condamnés pour provocation à la discrimination à l'égard d'une personne à raison de son origine par la 17e chambre correctionnelle du tribunal de grande instance de Paris, le 18 mai 1989. « Le prévenu s'attache à démontrer qu'Anne Sinclair ne peut symboliser, en effigie, la France. François Brigneau stigmatise les origines étrangères voire juives de la partie civile [...] [La loi] punit ceux qui auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ; il s'agit là d'une des limites, fixée par le législateur, à la liberté d'expression et d'opinion, telle que prévue par la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; cette limite s'adresse à la presse d'opinion comme à tout autre support de la communication de la pensée. »

Discrimination

Depuis la Seconde Guerre mondiale, la plupart des États ont rejeté la discrimination raciale et la propagande pour les opinions ou idées racistes, prohibées par plusieurs textes internationaux : la Charte des Nations unies de 1945, la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 et, plus particulièrement, la Convention internationale des Nations unies de 1965 sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale. Ce texte qui nous lie précise en son article 1 :

« Dans la présente Convention, l'expression "discrimination raciale" vise toute distinction, exclusion, restriction ou préférence fondée sur la race, la couleur, l'ascendance ou l'origine nationale ou ethnique, qui a pour but ou pour effet de détruire ou de compromettre la reconnaissance, la jouissance ou l'exercice, dans des conditions d'égalité, des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans le domaine de la vie publique. Sont exclues du champ d'application de la Convention les distinctions, exclusions, restrictions ou préférences établies par un État partie à la Convention selon qu'il s'agit de ses ressortissants ou des non-ressortissants. »

Son article 4 stipule :

« Les États parties condamnent toute propagande et toutes organisations qui s'inspirent d'idées ou de théories fondées sur la supériorité d'une race ou d'un groupe de personnes d'une certaine couleur ou d'une certaine origine ethnique, ou qui prétendent justifier ou encourager toute forme de haine ou de discrimination raciales ; ils s'engagent à adopter immédiatement des mesures positives destinées à éliminer toute incitation à une telle discrimination, ou tous actes de discrimination, et, à cette fin, tenant dûment compte des principes formulés dans la Déclaration universelle des droits de l'homme et des droits expressément énoncés à l'article 5 de la présente Convention, ils s'engagent notamment [...] à déclarer délits punissables par la loi toute diffusion d'idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale, toute incitation à la discrimination raciale, ainsi que tous actes de violence, ou provocations à de tels actes, dirigés contre toute race ou groupe de personnes d'une autre couleur ou d'une autre origine ethnique, de même que toute assistance apportée à des activités racistes, y compris leur financement [...]. »

L'article 5 ajoute :

« [...] les États parties s'engagent à interdire et à éliminer la discrimination raciale sous toutes ses formes et à garantir le droit de chacun à l'égalité devant la loi sans distinction de race, de couleur ou d'origine nationale ou ethnique [...]. »

Ainsi, les lois antiracistes, que l'extrême droite ne cesse de pourfendre, prolongent en droit interne un engagement international auquel la quasi-totalité des démocraties ont souscrit. La loi du 1er juillet 1972 (Pleven) dite loi antiraciste, complétée par la loi du 3 janvier 1985 modifiant la loi sur la liberté de la presse de 1881, relative aux violences et crimes racistes, sanctionne, par son article 23-1, la provocation à la haine, à la discrimination ou à la violence pour des aspirations racistes, par ses articles 24-5 et 32-2 la diffamation raciste, 33-2 et 33-3 les injures racistes, et prévoit par ses articles 48-1 et 48-6 l'engagement de poursuites à l'initiative du ministère public ou des associations antiracistes. Les articles 187-1 et 2 du Code pénal incriminent le racisme dans les services publics et dans l'Administration, l'article 416-1 le racisme dans les lieux publics, les magasins, le logement, l'emploi et les activités économiques.

Par ailleurs, l'article 1 de la loi du 10 janvier 1936, modifiée le 1er juillet 1972, permet la dissolution des groupes racistes et a déjà servi de fondement à l'interdiction du mouvement d'extrême droite Ordre nouveau.

Enfin, la loi du 13 juillet 1990 punit les falsificateurs et révisionnistes de l'histoire qui contestent la véracité des crimes contre l'humanité commis pendant la Seconde Guerre mondiale. Cette pénalisation-là était contestable.

La loi est ferme, mais la jurisprudence rare. Dans la vie quotidienne, les manifestations de racisme plus ou moins latent et de xénophobie, plus ou moins rampante, pullulent : chez nos concitoyens, dans les services publics et, trop souvent, dans les comportements policiers, face au droit à l'emploi et au logement, dans les files d'attente à la poste ou dans les gares, dans la rue. Pourtant, la justice est très rarement saisie, faute de plaintes, faute de témoins, faute de preuves.

Seules quelques actions exemplaires, menées par des associations de lutte contre le racisme et l'antisémitisme, ont pu aboutir. On ne relève quasiment pas de poursuites engagées à l'initiative des procureurs de la République. La banalisation des discours de haine, la complaisance des mondes politique et médiatique vis-à-vis des pulsions xénophobes, l'étranger étant presque naturellement assimilé au clandestin, le clandestin au délinquant, le délinquant au terroriste, la spirale de la haine s'enroule presque sourdement, et ronge notre société. Comment imaginer dès lors que les victimes d'exactions racistes aient, seules, le courage de revendiquer la protection de la loi ? C'est à chacun de les y aider. Cela peut se faire notamment en servant de témoin à la victime d'un acte ou de propos racistes, car la difficulté est le plus souvent d'apporter des preuves devant les tribunaux.

Discrimination dans l'emploi

La discrimination dans l'accès à l'emploi est interdite. Elle est pourtant importante et insidieuse. Importante : les témoignages abondent d'entreprises qui refusent d'embaucher des étrangers ou des Maghrébins. Une enquête d'inspecteurs généraux des affaires sociales, réalisée en 1992, indique que la proportion d'offres d'emploi discriminatoires reçues par les missions locales varie entre la moitié et le tiers (Le Monde, 18 janvier 1995). Insidieuse : le Code pénal interdit « toute discrimination opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine, [...] de leur appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ». L'article L.225.2 du Nouveau Code pénal punit de 200 000 francs d'amende la discrimination « lorsqu'elle consiste à refuser d'embaucher ou à sanctionner ou à licencier une personne », de même lorsqu'elle vise « à subordonner une offre d'emploi à une condition fondée sur l'un des éléments » précités. Les employeurs se trouvent ainsi contraints de masquer leurs exigences discriminatoires. Les offres d'emploi déposées à l'ANPE par les entreprises pratiquant la discrimination à l'encontre des personnes d'origine maghrébine, étrangères ou françaises de la deuxième génération, ne précisent pas que les candidats doivent être « blancs » ou « Français de souche ». Elles utilisent un système codé de références légales, du type « bonne présentation », « parfaite maîtrise du français », « conditions fonction publique », « conditions administration française ».

Dans certains cas, de telles mentions correspondent à de réelles nécessités, ce qui complique la lutte contre la discrimination. Une garde d'enfants censée les aider dans leurs études doit évidemment maîtriser parfaitement le français, mais ce n'est pas indispensable s'il s'agit de bébés. De surcroît, puisqu'il faut désormais rappeler des évidences, il est des Nasser Benakim qui parlent parfaitement le français, et des François Dupont qui ne le maîtrisent pas.

L'article 416-3 du Code pénal punit « toute personne amenée par sa profession ou ses fonctions à employer pour elle-même ou pour autrui un ou plusieurs préposés qui aura soumis une offre d'emploi à une condition fondée sur l'origine, le sexe, la situation de famille, l'appartenance ou la non-appartenance à une ethnie, une nation, ou une religion déterminée ».

La dénonciation au quotidien de ce racisme insidieux ne va pas de soi, par exemple lorsqu'un agent de l'ANPE subit un chantage. L'employeur se défausse sur la clientèle : « Vous comprenez, ils passent mal auprès des clients », ou sur le donneur d'ordre lorsqu'il n'est que sous-traitant : « C'est ça ou je perds le marché. » Mais accepter cette chaîne du racisme quotidien ne ferait que le répandre. Voilà pourquoi les propos de l'ancien directeur de l'ANPE étaient particulièrement choquants [Voir Caissières]. Voilà pourquoi, en excluant les personnes d'origine maghrébine des postes à forte visibilité sociale, comme les journaux télévisés, on entretient la discrimination raciste [Voir Rachid Ahrab]. Voilà pourquoi il faut construire une chaîne de la solidarité quotidienne par la résistance incessante à ces micro-racismes.

Dreux

Dreux avait déjà eu le triste privilège d'avoir le premier député Front national élu au scrutin uninominal, Marie-France Stirbois.

Cela laisse des traces, comme d'ailleurs les propos du ministre de l'Intégration et de la Lutte contre l'exclusion, Éric Raoult auquel fait explicitement référence M. Gérard Hamel, maire de Dreux.

M. Hamel a de fort inquiétantes idées, qu'il a exprimées dans La République du Centre : « Quand, dans une cage d'escalier ou dans un quartier, il se trouvera une famille à problème qui pourrit la vie de l'entourage, je suis décidé à demander son expulsion, voire son interdiction de la ville de Dreux. » Le maire de Dreux se déclare en outre prêt « à faire appliquer des sanctions auprès des familles qui ne maîtriseraient pas leurs enfants mineurs ».

Expulser systématiquement est une ineptie, morale et politique. Traiter intelligemment et individuellement les cas difficiles est une nécessité. Différence décisive.

Il est terrifiant de voir comment dans notre pays les thèses défendues naguère par les seuls extrémistes - chassons les pauvres, masquons la misère au lieu de régler les problèmes - sont aujourd'hui banalisées. Et consternant d'entendre parfois des ministres, comme Éric Raoult et Jean-Louis Debré, donner, si l'on ose dire, l'exemple.

Droit de vote des étrangers

Laissons ici de côté l'exploitation politicienne de ce thème et avançons sur le fond. Quelle que soit la position que l'on défende, ayons d'abord conscience de la progression du lepénisme rampant. Les médias, les politiques, les intellectuels reprirent tous l'expression « droit de vote des immigrés », bien qu'elle soit totalement aberrante. Les « immigrés » sont en effet les uns naturalisés, les autres pas. Aux premiers, nul ne songe, du moins ouvertement, à enlever le droit de vote. La question ne se pose donc que pour les seconds, les immigrés non naturalisés, autrement dit les étrangers résidant en France. Il va alors de soi que le problème doit être dénommé « droit de vote des étrangers ». Le glissement sémantique en dit long sur la dégradation des esprits.

Au-delà de la bataille linguistique - mais sans jamais la négliger -, faut-il se battre pour élargir le droit de vote aux étrangers installés en France ? Soyons clairs. Nous ne sommes pas partisans du droit de vote des étrangers aux élections nationales. Nous sommes favorables au droit de vote des étrangers aux élections locales. Voici pourquoi.

Certes, l'attribution du droit de vote à tous les résidents présenterait des avantages réels. De principe : elle renouerait avec la visée universaliste de notre Révolution fondatrice. La Constitution de 1793 conférait ainsi la citoyenneté à tout étranger en France depuis plus d'un an. Pratique : elle intégrerait les travailleurs présents de longue date à la vie politique ; elle inciterait les élus à une meilleure prise en compte de leurs problèmes. Électoral : elle renforcerait les formations démocratiques au détriment des xénophobes.

Malgré tous ces arguments, et quelques autres, l'extension totale du droit de vote des étrangers (extension car les résidents de l'Union européenne en bénéficient désormais pour les élections européennes et municipales) n'est pas souhaitable. Non pas parce que l'opinion y répugne : si telle était la seule raison du refus, il faudrait soit passer outre en cas d'impérieuse nécessité, soit s'atteler à convaincre le peuple. En soi, une réforme aussi radicale serait contestable, car il faut conserver le lien entre droit de vote et appartenance à une communauté politique - pour laisser ou redonner au droit de vote sa substance, pour laisser ou redonner à la communauté politique son sens. Le suffrage universel n'est pas de même nature qu'un remboursement de soins par la Sécurité sociale. Il fonde notre démocratie : le choix de ceux qui gouvernent par les citoyens de la collectivité gouvernée.

Élections nationales et élections locales ne sont cependant pas de même nature. Autant les premières impliquent une appartenance complète à la nation, autant les secondes font vivre une démocratie de proximité qui a tout à gagner à inclure tous les résidents. Il faut accorder le droit de vote aux élections locales à tous les résidents établis depuis un certain temps. Pour que les Français comprennent mieux les problèmes des résidents étrangers, et que les élus s'en soucient, pour que les résidents étrangers comprennent mieux les problèmes de la cité, et qu'ils s'en soucient. Une fois encore, l'intégration joue dans l'intérêt de tous.

Droite et gauche

La droite et la gauche, ce n'est pas la même chose, et ce ne doit pas l'être, nous en sommes convaincus. Pourtant, droite et gauche se sont engluées dans la corruption. Qu'il y ait des gens malhonnêtes partout, c'est une vérité de La Palice. Que les grands partis de gouvernement n'aient pas compris les ravages des « affaires », c'est une ineptie grave. Ils ont laissé au Front national le monopole de la propreté. Et comme celui-ci n'avait pas d'élus, il traînait peu de casseroles (on ne reviendra pas ici sur les conditions de l'héritage qui firent de M. Le Pen un milliardaire, voir Gilles Bresson et Christian Lionet, Le Pen, op. cit.).

Droite et gauche ne s'expriment pas assez fortement. Qui serait capable de résumer le programme de la majorité et celui de la gauche lors des dernières élections municipales ? Oh, certes, localement beaucoup de jolis projets et quelques polémiques ont été échangés. Mais au-delà ? Le seul message entendu durant la campagne municipale fut celui du Front national, sur la « préférence nationale », c'est-à-dire la discrimination xénophobe.

Droite et gauche ne se distinguent pas suffisamment. Ce n'est pas en défendant une hausse de la TVA d'un côté, une augmentation de la CSG de l'autre que l'on créera un désaccord compréhensible et que l'on passionnera les foules - encore qu'il s'agisse d'un vrai choix. Le franc fort, ils sont tous pour. La monnaie unique, ils sont tous pour. L'accès à l'Université sans sélection, ils sont tous pour. Un peu de référendum mais pas trop, ils sont tous pour. L'augmentation du SMIC une fois de temps en temps, ils sont tous pour, etc., etc. Non qu'ils aient forcément tort d'être pour - mais ils ont tort de ne pas insister sur tout le reste, qui pourtant si souvent les distingue.

La xénophobie et même parfois le racisme sont aujourd'hui porteurs. Qu'on les déteste, qu'on y adhère vraiment, comme assez peu de gens, ou que l'on s'en fiche, comme beaucoup d'autres, autant ne pas se voiler la face : seule l'extrême droite paraît offrir une vision politique simple, compréhensible, rassurante, porteuse pour beaucoup d'espérances. Aux difficultés de vivre, et à la crainte que demain soit pire qu'aujourd'hui, le FN désigne une cause : l'étranger, le Maghrébin. Pour le mieux-vivre, et la promesse que demain sera meilleur qu'aujourd'hui, le FN donne une solution : se débarrasser de l'étranger. Dans toute son ambiguïté, l'expression « préférence nationale » est porteuse de ce message. Aux plus modérés, elle dit : « Nous nous occuperons de vous, avant de nous occuper des autres. » Quoi de plus évident et de plus rassurant ? Aux plus durs, elle dit : « Nous aiderons le Français moyen délaissé et nous vous débarrasserons des autres. » Il ne suffit pas de dénoncer l'appel à la discrimination, son immoralité ou son simplisme. Il est temps de lui opposer autre chose, de refaire de la démocratie un idéal.

Durafour crématoire

« M. Durafour et Dumoulin, obscur ministre de l'Ouverture, dans laquelle il a d'ailleurs immédiatement disparu, a déclaré : "Nous devons nous allier aux élections municipales avec le PC, car le PC, lui, perd des forces, tandis que l'extrême droite ne cesse d'en gagner." M. Durafour-crématoire, merci de cet aveu ! » (Le Pen, Cap-d'Agde, 2 septembre 1988, université d'été du FN). Où Le Pen apporte la preuve de l'existence de Freud... et où il révèle combien son antisémitisme est obsessionnel.

Tribun hors pair, joueur de mots s'il en fut, le chef de l'extrême droite ne peut éviter des écarts qui lui coûtent cher. Immédiatement, par les réactions et démissions qu'ils provoquent. Durablement, par l'extrémisme qu'ils révèlent. Le Pen apprendra la leçon. Il se contrôlera mieux, pour conquérir le minimum de respectabilité requis.

Ces dérapages doivent être rappelés, et même soulignés. Pour attester l'antisémitisme et le racisme que Le Pen nie résolument et que ses électeurs contestent absolument (« Bruel s'appelle bien Benguigui, qu'y a-t-il de raciste à le rappeler ? », écrivent en masse les lepénistes). La crainte de subir les foudres de la loi et un reste de sentiment selon lequel le racisme ne serait pas une valeur très présentable expliquent cette dénégation systématique. Raison de plus pour la contrer et révéler le vrai visage des frontistes.

Voir Calembour, Rafle.

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